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francoiranien-pelmel وبلاگ ایرانی - فرانسوی قاطی پاطی
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18 septembre 2006

Le cinéma iranien

aabi adambarfi aroosekhoshghadam asiri

Quelques articles réunis sur le cinéma iranien :

Réservé à la cour, puis à une frange de la bourgeoisie urbaine, le cinéma iranien ne s’est vraiment développé qu’après 1947, sur l’expérience de doublage des films étrangers. Le premier film de fiction muet (Ali et Rabi, comédie burlesque de Ohaniantz) fut tourné après l’avènement du parlant (1931). Le premier film parlant persan (La Fille du Lorestan, de A. Sépanta) fut réalisé en 1933 par les studios de Bombay.

À partir de 1947, le développement est rapide. Production et distribution se calquent sur les modèles anglais et américain, animés par le seul souci de rentabilité. En 1953, trente-cinq sociétés de production sortent trente-sept films par an. En 1957, les studios Missagleh complètent l’équipement du pays, qui suit de près la technique américaine (couleur, écran large). La production commerciale est alors de soixante à quatre-vingts films par an, distribués par les cinq cent quarante salles du pays (dont 120 à Téhéran).
À côté de ce cinéma commercial, un autre cinéma, qui bénéficie du même équipement, sinon du même public, se développe à partir de 1956 (Dix-Sept Jours de sursis, de Hushang Kâvusi, ancien élève de l’I.D.H.E.C.). En 1958, Le Sud de la ville, de Farrokh Gaffary, sur la situation des immigrés de l’intérieur et du petit peuple, est interdit par la censure du shah.
Les cinéastes se réfugient alors dans le court métrage, moins surveillé. Quelques cinéastes tournent des longs métrages sur les paysans (La Vache, de Darius Mahrjui, 1969), le prolétariat de banlieue (Le Cocher, de Nosrat Karim ; L’Averse, de Bahram Bayzai, 1971), l’exode rural (Balutch, de Massoud Kimyaï ; Monsieur le Naïf, de Dariush Mehrjui). Pour éviter la censure, ils travaillent de l’intérieur les formes conventionnelles, mais se coupent du public populaire. Parmi les films marquants de cette période : La Nuit du bossu (Farrokh Gaffary, 1963), Les Mongols (Parviz Kimivi, 1973), Nature morte (Sohrab Shahid-Saless, 1974), Le Passager (1974) et Rapport (1977), tous les deux de Abbas Kiarostami.

La République islamique fut encore plus radicale : on n’entendit plus parler de cinéma iranien. De quatre-vingt-dix films par an en 1979, la production tomba à cinq ou six. Le cinéma lui-même, comme art de l’image, était visé par le gouvernement des mollahs. À partir de 1987-1988, on note une timide réapparition. Surprise : c’est d’un cinéma intimiste qu’il s’agit et qui, s’il évite les sujets trop brûlants, révèle des qualités de finesse d’observation, une grande tendresse pour les simples gens et particulièrement les enfants. La religion elle-même, avec prudence, est parfois égratignée (Devoirs du soir).

Les films consacrés à l’enfance fournissent d’ailleurs une bonne sélection de ce cinéma renaissant : Les Routes froides (Massoud Jafari Jozani, 1987) ; Bashu, le petit étranger – sur fond de guerre irano-irakienne et de rapports interethniques (Bahram Bayzaï, 1987) ; Où est la maison de mon ami , chef-d’œuvre dédié à l’amitié (Abbas Kiarostami, 1987) ; L’eau, la terre, le vent (Amir Naderi, 1989) ; La Gale (Abolfaz Djalili) ; Devoirs du soir (Abbas Kiarostami, 1990).

Moshen Makhmalbaf, auteur connu et bien en cour grâce à son militantisme religieux, reste très critique envers la société : Le Camelot (1987), chronique très dure de la vie des exclus des grandes villes et de la fausse charité des mosquées ; Le Cycliste (1988), film célèbre, mais sans concessions ; Le Mariage des bénis (1989), description des ravages sur les combattants, imputables à la guerre Iran-Irak.

Abbas Kiarostami, le cinéaste le plus important du cinéma iranien, a fait de Makhmalbaf le héros presque invisible d’un film étrange et subtil (Close up , 1990) qui témoigne de la fascination qu’exerce toujours le cinéma sur le public. Il a réalisé depuis Et la vie continue (1991).

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PROPOS ROMPUS SUR LE CINÉMA IRANIEN

par André Habib

Gabbeh

Gabbeh.

Le cinéma iranien n'a jamais été naïf. Et c'est rétroactivement, il semble, que nous le constatons. Gabbeh, Le Ballon blanc, Le miroir, Passager, Où est la maison de mon ami ?, ہ travers les oliviers, La pomme, tous ces films ont été prisés pour leur simplicité, l'impression de fraîcheur qu'ils dégageaient et qui redonnaient au cinéma mondial un nouveau souffle, un moment d'innocence. C'est comme si, à travers ces enfants, ou ces adultes-enfants, c'est l'enfance de l'art qui nous était redonnée... un art qui nous venait d'une terre éloignée qui n'avait jamais connu Hollywood, avant le sexe et la mort, avant la brutalité et la bêtise, avant une batterie de codes narratifs, d'effets spéciaux, etc. Or, rien n'est moins naïf, historiquement, politiquement, socialement, que ce cinéma. Ces réalisateurs font des films dans un contexte politique, dans une réalité sociale, qui, ne fut-ce que par les contraintes exercées sur les productions par les comités de censure, rappellent, à chaque film, les obstacles qu'il a fallu contourner, les règles auxquelles il a fallu se plier, l'inventivité dont il a fallu faire preuve : c'est comme si dans cette absence même d'un contenu proprement politique, le cinéma iranien n'a cessé de s'y référer, obliquement. C'est en cherchant à dire, à proposer un monde, malgré les règles, que ce cinéma occupe pour nous une place privilégiée, puisqu'il a été forcé d'inventer un nouveau langage, repartir à neuf pour dire le désir d'une femme pour un homme, le suicide d'un homme, l'envie de (se) faire du cinéma. Il ne s'agit pas de dire - ce que beaucoup trop ont dit - que les enfants dans le cinéma iranien constituent un moyen pratique pour opacifier aux yeux de la censure un contenu subversif. Plutôt, l'absence de contenu subversif direct devient, à plus d'une occasion, un moyen de résistance. Mais laissons là pour plus tard ces remarques.

***

Que connaissons-nous du cinéma iranien ? Il faut bien dire que ce qui, à nos yeux, représente "le cinéma iranien", c'est une poignée à peine de films, tournés depuis le début des années 90, éparpillés dans la conscience des festivaliers ou transitant dans certains réseaux de cinéma d'art, d'essai, de répertoire. Ceci fait dire à quelqu'un comme Godard - très admiratif, par ailleurs, des films d'Abbas Kiarostami et de Samira Makhmalbaf - qu'il n'y a pas de "cinéma iranien", mais qu'on pouvait parler, au mieux, de deux ou trois bons films iraniens (1). Sans avoir à nous perdre en tergiversations et en spéculations sémantiques, nous entendons bien ce que peut contenir de problématique une notion comme celle de "cinéma iranien" (le même peut être dit du cinéma indien, du cinéma égyptien, etc.), à partir du moment que nous constatons que quantité de films primés, diffusés en Occident, ont été produits avec le soutien financier d'un pays - la France ou l'Italie -, d'une part, et que ces films ne sont souvent même pas vus en Iran ou qu'ils leur parviennent dans des versions tronquées (Le Cycliste, Le Goût de la cerise, Le Cercle, pour ne nommer que ceux-là). Pour intriquée et complexe qu'elle soit, ce problème de définition ne doit pas nous empêcher d'être à l'écoute de ces films, dans leur différence, dans notre différence d'avec eux. Sans postuler qu'il existe un bloc de films parfaitement homogènes, nous pouvons toutefois parler d'un phénomène qui est, lui, bien réel.

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Go_t_de_la_cerise

Le goût de la cerise.

Cette vague de films qui déferle sur nos écrans, il faudrait peut-être bien se l'expliquer un jour. Depuis Le Ballon blanc (Jafar Panahi, 1995), caméra d'or à Cannes en 1996, pas une année n'a passé sans qu'un film iranien ne remporte un prix prestigieux, à Cannes, Berlin, Venise, Locarno. Le phénomène ressemble en un sens à la vague de cinéma indien, qui saisit le monde à partir de 1957, avec Pather Panchali de Satyajit Ray (sans oublier les films de Bimal Roy, Ghatak, Mrinal Sen, Ritwik), ou encore "l'étonnante moisson du cinéma italien", à partir de Rome Ville Ouverte. Le néo-réalisme ne répond pas à la même histoire que le cinéma indien ; nous ne pouvons pas non plus dresser des parallèles avec les différents moments (pré et post-révolutionnaire) de l'histoire du cinéma iranien. Mais ce qu'on constate, c'est que ces trois phénomènes cinématographiques ont tous refusé de faire du cinéma de façon uniforme, de réactualiser, en bloc, les codes du cinéma narratif classique et se sont donné pour champ d'exploration le territoire du pays. Il y aurait beaucoup à dire sur les rapports spécifiques que ces trois cinémas entretiennent avec la réalité, avec ce qu'il est convenu d'appeler le réalisme cinématographique, la saisie objective de la réalité, etc. Ce qu'il y a d'étonnant, par ailleurs, bien que cela ne s'applique pas de façon systématique - mais je le propose de façon intuitive - c'est que ces trois cinémas ont mis, au centre de leur espace cinématographique, le visage. Pas que les autres cinéastes (depuis Griffith), dans d'autres pays, n'ont jamais fait de gros plan, et n'ont pas fait du visage de la star la surface tendue de toutes les projections... mais c'est dans le traitement du visage que ces trois cinématographies se rassemblent. Le visage devient le lieu où s'exprime, où se joue le social (ce qui les distinguent du cinéma de Dreyer, Bergman, Bresson, tous grands maîtres du gros plan). C'est par le visage de ces acteurs, souvent non professionnels, que nous accédons à la réalité sociale. Débarrassé des réflexes de jeu, d'un certain décrochage illusionniste qui est inscrit dans les traits les plus fins de la physionomie, le visage, dans ces films, devient une surface, ou plutôt un territoire où se lit le social - mieux - la vie. Il suffit de penser aux visages de Close-Up, Salaam Cinema, Le goût de la cerise, Le Cycliste, Le Miroir, Et la vie continue. Entre le visage à l'écran et le visage réel, il existe une relation indicielle parfaitement transparente : le visage devient le signe absolu de l'existence de cet individu, non pas simplement comme acteur devant la caméra, mais comme être social, dans sa quotidienneté, son labeur.

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Ceci dit, depuis qu'a été découvert le cinéma iranien, certaines choses ont changé, et ce, tout particulièrement depuis deux ans. J'ai été de ceux qui ont découvert, un après-midi enneigé de 1996, le Ballon blanc, film que j’adoptai aussitôt, non pas pour sa naïveté, mais le raffinement de sa pauvreté, la simplicité de sa trame, et avant tout pour son insidieuse cruauté. Ce n'est pas un film cruel, mais un film qui met en place un dispositif de cruauté, interne à l'intrigue (une petite fille désire acheter un poisson rouge pour le nouvel an). Un rappel de la dernière scène du film suffira pour comprendre ce dont je parle. On se souviendra que la petite fille perd l'argent que sa mère lui a donné pour se procurer son poisson joufflu, et que c'est avec l'aide de son frère et d'un vendeur de ballons afghan qu'elle récupère son billet tombé derrière un grillage. C'est à ce moment que tout bascule : la caméra de Panahi demeure en plan fixe sur le jeune afghan tandis que la petite fille et son frère vont acheter le poisson. Ils reviennent en courant, traversent le cadre et disparaissent vers la gauche de l'écran sans saluer le garçon. L'Afghan demeure seul, un ballon blanc au bout de sa perche. Il se lève pour partir, mais l'image fige son geste et le générique de la fin commence à défiler. Ce qui s'est produit, c'est un renversement complet de sympathie, en quelques minutes. L'impuissance, l'indifférence, voire la cruauté du monde adulte qui se posent comme obstacle à la quête de la petite fille, subit tout à coup un transfert radical. Notre sympathie s'est renversée totalement, et c'est désormais la petite fille qui nous semble indifférente, égoïste, avare ; c'est le jeune Afghan qui nous semble isolé, désespéré, abandonné : le titre du film, ce n'est pas "le poisson rouge", mais bien Le Ballon blanc.

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Le tableau noir.

Sans s'adonner à une analyse très touffue, il serait quand même possible de dire que, depuis deux ans, quelque chose a changé dans le cinéma iranien tel qu'il nous parvient, d'un festival à l'autre. Des possibilités semblent avoir été ouvertes. Bahman Farmanara, réalisateur et interprète de L'Odeur du Camphre, le parfum du jasmin (Booye Kafoor, Atre Yas) disait avant la projection au FFM l'an dernier, qu'il n'aurait pas été possible de faire ce film il y a cinq ans, et qu'il témoigne d'une plus grande permissivité du gouvernement réformiste. Il laissait toutefois poindre que celui-ci ne fut pas immédiatement admis, et qu'il lui fallu fournir une vingtaine de versions de son scénario au comité de censure avant d'être accepté. D'ailleurs, Farmanara, chantre du cinéma pré- révolutionnaire, n'avait pas tourné depuis vingt ans et c'est son "propre rôle" qu'il joue dans ce film, qui raconte l'histoire d'un réalisateur qui tente de tourner un film sur ses propres funérailles. Piqué de références au suicide, aux grossesses illégitimes, à la censure en Iran, L'odeur du Camphre, sans atteindre un sommet de réalisation, intègre directement et sans ambages les problèmes qu'ont à surmonter les cinéastes en Iran. D'autres films, que j'appellerai frontaliers problématisent frontalement certaines réalités ethniques, raciales, territoriales : Le Tableau Noir (Samira Makhmalbaf, 1999), Djomeh (Hassan Yektapanah, 1999), Un temps pour l'ivresse des chevaux (Bohman Ghobadi, 2000). Ces trois films mettent en scène l'errance d'un peuple à la recherche d'une terre qu'ils ne trouveront peut-être jamais et les difficultés d'intégration de l'Autre en Iran, mais en adoptant un ton, en proposant une signature par moments inhabituels. Enfin, un troisième axe qui nous permet de lire ce glissement ou cette ouverture, est celui du cinéma de femmes, qui pose très directement, et souvent de façon assez brutale, le rôle de la femme dans la société iranienne : Filles du soleil (Mariam Shahriar, 2000), Le Cercle (Jafar Panahi, 1998-2000) et tout récemment sorti en Europe, un film de l'épouse de Mohsen Makmalbaf, Le jour où je suis devenue femme (Marzieh Meshkini, 2000).

S'agit-il d'un laxisme de la censure qui est de moins en moins prompte à interdire le tournage de films qui, il faut le rappeler, raflent une quantité non négligeable de prix internationaux ? l’évolution des mentalités ? S'il faut s'appuyer sur les déboires de Panahi pour son film Le Cercle, les autorités sont tout aussi rétives à laisser passer ce type de contenu. Un procès est d'ailleurs encore en cours afin de permettre au film de sortir en Iran.

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Pour mieux comprendre ce cinéma important autant par ses aspects politiques et sociaux que par son esthétique cinq livres et une cassette vidéo :

Abbas Kiarostami Vérités et songes de Jean-Pierre Limosin
Cinéma de notre temps, Janine Bazin et André S. Labarthe :            

Lorsqu'est réalisé ce portrait, Abbas Kiarostami, né à Téhéran en 1940, est l'auteur de 23 films. Parmi ceux-ci : Où est la maison de mon ami ? (1987), Close up (1990), Et la vie continue (1992), Au travers des oliviers (1994).
Jean Pierre Limosin et son équipe arrivent en Iran en Mars 1994, pendant la période de Noruz, le nouvel an iranien qui commence le premier jour du printemps. A bord de son 4x4, Abbas Kiarostami les conduit de Téhéran, son lieu de résidence, jusque dans la région du Guilan, son plateau de tournage habituel situé à plus de 400 kilomètres de la capitale.
Parcours géographique riche en contrastes au cours duquel Kiarostami évoque son enfance, raconte ses années de formation, livre enfin sa principale préoccupation : la recherche constante de "la vérité qui se cache derrière la réalité".

Affiche___Kiarostami

Les cinémas du Moyen-Orient, Iran, Egypte, Turquie
De Yves Thoraval
éditions Séguier

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Cin_ma_iranien___livre_2

5 Livres :

Le cinéma iranien, l'image d'une société en bouillonnement
De Hormuz Kéy

(...) Dans cette "société à la recherche d'elle-même ", le cinéma a trouvé sa raison d'exister : ses créateurs sont passés de la polémique contre un État incapable, à une "auto-thérapie qui s'exprime par une vision humaniste de l'individu et examine les pulsions les plus élémentaires de l'homme au travers d'une intrigue dont la forme est souvent poétique : la peur, la joie, le besoin d'exister, etc.
Pour pouvoir réaliser des essais critiques et politiques, les auteurs ont détourné les rigueurs extrêmes de la censure par l'utilisation de métaphores que chacun peut comprendre : ainsi parmi d'autres, Dariush Merdjoui dans La Vache en 1969, Massoud Kimiai utilise les mécanismes du cinéma commercial, sans oublier le créateur Sohrab Shahid Saless qui a inventé selon Hormuz Kéy une sorte de "réalisme donnant naissance au cinéma post-révolutionnaire. Dépassant le pro- blème propre du cinéma, Hormuz Kéy montre comment quelques esprits érudits, Farrokh Gaffary mis à part, ont ignoré ce cinéma ou l'ont stigmatisé sans voir vraiment comment il allait contre le discours officiel, celui du Shah ou ensuite celui des mollahs...

Marc Ferro


(…) Pour toutes ces raisons, son travail est précieux [...]. Il montre comment le cinéma traverse des frontières fermées, et comment des images transportent des idées, quels que soient les barrages. Il expose, indirectement, comment il est devenu impossible de refermer un peuple sur lui-même. Les films iraniens parce qu'ils sont iraniens, transportés par leur qualité propre aux quatre coins du monde, y ont rencontré les échos précis de telle censure, de telle interdiction, de tel sentiment de solitude ou d'espérance.

Jean-Claude Carrière

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Cin_ma_iranien___livre_4

Cin_ma_iranien___livre_5

Le réel face et pile, le cinéma d'Abbas Kiarostami
De Youssef Ishaghpour
éditions Farrago

Histoire du cinéma iranien
- 1900-1999
De Mamad Haghighat
Cinéma du réel

Abbas Kiarostami,
textes, entretiens et filmographie complète
par la Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma

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Le cinéma iranien emporte la révolution

Mamad Haghighat, critique iranien, auteur de Histoire du cinéma iranien, en collaboration avec Frédéric Sabouraud (Ed. Centre George Pompidou, 1999).

La République islamique a donné droit de cité au cinéma à des fins de propagande. Mais en imposant sa propre vision, une génération de réalisateurs offre une autre image de l’Iran.

En Iran, le cinéma a conquis sa légitimité, aux yeux des croyants, avec la révolution de février 1979. Jusqu’à ce bouleversement politique, conséquence du mécontentement populaire contre le régime du chah et qui a abouti à une «république islamique» sous l’égide de l’ayatollah Rutollah Khomeiny, le septième art était maudit par le clergé.
Le cinéma est apparu en Iran au début du xxe siècle. Dès l’ouverture des premières salles, à Téhéran en 1904, les religieux s’y sont opposés. Plusieurs cinémas ont été incendiés avec des conséquences parfois dramatiques: en août 1978 à Abadan, 400 personnes ont ainsi péri au Rex. La salle de cinéma, symbole de l’Occident athée et lieu de rassemblement populaire faisant concurrence à la mosquée, était considérée par les mollahs comme une menace directe pour leur pouvoir. Le cinéma était défini comme blasphématoire car il montrait des images de femmes sans voile et, plus tard, des scènes de danse accompagnées de musique.
Les croyants fanatiques ne pouvaient admettre la moindre représentation iconographique d’un être humain: seul Dieu est le «Créateur» et le «Façonneur» des êtres vivants. Toute représentation figurative est absente des ornementations des mosquées. Pendant des siècles, le pouvoir des MOTS a ainsi dominé la société iranienne. Sans tradition d’expression artistique visuelle (à l’exception de la miniature au XIVe et XVe siècles), les représentations «imaginatives» appartiennent aux écrivains et aux poètes.
Si le septième art a produit, entre 1930 et 1979, environ 1 100 films de fiction diffusés dans 420 salles, il n’avait néanmoins aucune légitimité aux yeux des ayatollahs. Les enfants des familles rigoristes subissaient même des châtiments corporels s’ils allaient au cinéma. Mais avec l’arrivée de Khomeiny au pouvoir, un étrange renversement s’est produit.
Du jour au lendemain, le cinéma devient l’affaire de tout le monde, y compris des religieux. Comme dans les autres domaines, le nouveau régime prend tout en main et confisque l’IMAGE. Sa propre représentation est omniprésente à la télévision, dans les journaux, sur les murs, dans les salles de cinéma. Le septième art, ainsi béni et purifié, est légitimé. Toutefois, le cinéma étranger, en contradiction avec les valeurs islamistes, est banni. De fait, la production iranienne se trouve sans rivale sur le territoire national.
Lorsqu’il était en exil en France, l’ayatollah Khomeyni avait pris conscience du rôle de l’image comme instrument efficace de propagande. A son retour à Téhéran, il découvre à la télévision le film de Dariush Mehrjui, La Vache (1969). Dans ce film proche du réalisme, le réalisateur évoque le quotidien difficile des paysans pauvres dans un village isolé, où l’un des personnages s’identifie à sa vache après la mort de l’animal, son unique bien. Cette fiction inspire au chef religieux un discours sur le rôle pédagogique du cinéma.

Le chef de file Abbas Kiarostami
Dès la première année de la révolution, tous les organes d’Etat se mettent au service de cet art afin de créer «un cinéma islamique», allant dans «le bon chemin». Parallèlement, un autre cinéma, qui se situe dans la tradition des films de qualité d’avant 1979, naît dans la douleur. En raison d’une censure impitoyable, certains cinéastes créent un langage qui contourne les interdits et s’inspire de la réalité quotidienne (des fictions documentaires) et de la poésie persane. Ils s’imposent grâce à leur fraîcheur et à l’innocence de leur regard. Ils ont aussi su profiter des divergences qui apparaissent de temps à autre entre les différents organes étatiques, dont les responsables changent assez régulièrement.
Le chef de file de ce nouveau cinéma, Abbas Kiarostami, l’un des fondateurs du département de cinéma de l’Institut pour le développement intellectuel des enfants et des jeunes adultes créé en 1969, conteste, par la caméra, les préceptes cinématographiques de Khomeyni. Alors que l’Iran et l’Irak se préparent à une guerre particulièrement meurtrière (1980-1988), le nouveau régime, après quelques mois d’une démocratie balbutiante, se durcit. Fin 1979, dans ce contexte sombre, Abbas Kiarostami tourne Alternative 1, Alternative 2, réquisitoire contre la délation: il fait appel aux témoignages de différentes classes sociales, y compris à ceux des religieux, pour en démontrer l’ineptie. Un tel brûlot est interdit, et n’a d’ailleurs toujours pas reçu de visa de sortie. Mais Kiarostami, qui s’affirme réalisateur laïc, a mis en marche une machine redoutable pour le régime.
Ses films vont critiquer l’emprise des mollahs sur la société. Il s’attaque au lavage de cerveau chez les enfants dans Les Devoirs du soir (1990). Avec Le Goût de la cerise (1997), il évoque le suicide, contraire à la loi islamique, dont il faut chercher les causes en Iran dans une certaine désespérance de la population face à une situation sans issue. Il aborde l’improbabilité de l’au-delà dans Le Vent nous emportera (1999).
Il n’est pas le seul à s’interroger sur la société iranienne. Bahram Beyzaï, dans Bashu, le petit étranger (1987) dénonce pour sa part les terribles conséquences de la guerre avec l’Irak, de même que Mohsen Makhmalbaf dans La Noce des bénis (1989). Amir Naderi évoque l’attitude des autorités à propos des disparus, au début du conflit. Il en donne sa lecture dans La Recherche 2, qui n’a jamais pu sortir. Avec Le Coureur (1985), ce réalisateur est le premier depuis la révolution à donner des rôles principaux aux enfants, qui deviennent les acteurs fétiches de ce cinéma. Le sujet est d’actualité car l’Iran connaît une poussée démographique spectaculaire. En 20 ans, la population a quasiment doublé et près de la moitié des Iraniens ont moins de 20 ans. Les réalisateurs constatent que les autorités ne prennent pas au sérieux cette thématique. Partant de l’adage selon lequel la vérité sort de la bouche des enfants, ils abordent par ce biais la réalité du quotidien.
D’un cinéma de rêveries inspiré en partie des séries B égyptiennes ou indiennes, le cinéma iranien se transforme en une création à mi-chemin du «néoréalisme italien» et de la «nouvelle vague française». Il bouscule les tabous et dit ce qui ne va pas. Pire aux yeux des mollahs, il ensorcelle les thuriféraires du régime. Le cas le plus spectaculaire est celui de Mohsen Makhmalbaf. Pur produit de la contestation qui marque la fin du règne du chah, il est libéré, au moment de la révolution de 1979, après quatre années de prison. Il s’engage à fond pour le nouveau régime et dirige le Centre artistique islamiste du théâtre, un lieu de propagande. Peu à peu, il bascule vers le cinéma. Makhmalbaf, qui a l’entière confiance des autorités, tourne Le Camelot en 1987. Le film fait sensation. Il y critique ouvertement le régime en dénonçant les «mensonges de la mosquée». Il est alors interpellé par les journalistes : «Makhmalbaf, qu’es-tu devenu? Tu es sorti de la ligne?». Réponse: «J’ai découvert le cinéma et cela a changé ma vision du monde».
Lors d’un séjour en Europe, Les Ailes du désir, de Wenders, le bouleverse au point qu’à son retour en Iran, il tient des propos blasphématoires. «Si Dieu doit envoyer un nouveau prophète, c’est Wim Wenders», déclare-t-il. Dans la foulée, il tourne un film qui bouscule certains dogmes de la nouvelle société. Le Temps de l’amour (1990) raconte l’histoire de la liaison entre une femme mariée et son amant. Contre toute attente, ce film, montré au festival de Téhéran la même année, attire une foule de spectateurs en quelques séances (il n’obtiendra pas de visa de sortie). Cet événement coûte en partie son poste au ministre de la Culture de l’époque, l’actuel président Mohamad Khatami.
1990 marque une nouvelle étape. L’Occident découvre avec étonnement, lors des festivals, une autre image de l’Iran. Ce cinéma parle de choses simples: l’amitié, la tolérance, la solidarité. Dès lors, commence le temps des honneurs. «L’Iran exportait jadis du pétrole, des tapis, des pistaches. Maintenant il faut y ajouter des films. L’Iran exporte sa culture, ce qui est bien», déclare Kiarostami qui obtient la Palme d’or à Cannes en 1997 pour Le Goût de la cerise. En 2000, à Cannes toujours, le cinéma iranien obtient trois récompenses: l’une est attribuée à la fille de Makhmalbaf, Samira, 20 ans, la plus jeune lauréate de l’histoire de ce festival pour Le Tableau noir, et la Caméra d’or à Bahman Ghobadi (Un Temps pour l’ivresse des chevaux) et Hassan Yektapanah (Djomeh).
L’Iran dispose d’une véritable pépinière de cinéastes. Aujourd’hui, une vingtaine d’artistes talentueux, comme Kiarostami, Makhmalbaf, Jalili, Mehrjui, Beyzaï, Forozesh, Naderi, Panahi..., réalisent 15% des 60 films que l’Iran produit annuellement. On ne connaît pas encore les limites de ce cinéma qui fait voler en éclats les derniers interdits.
Pour la première fois, une fiction, Le Cercle, qui a obtenu le Lion d’or au Festival de Venise 2000, traite de la prostitution, un thème totalement tabou jusqu’à ce jour dans la République islamique. Jafar Panahi, âgé de 40 ans (et déjà Caméra d’or à Cannes en 1995 pour Le Ballon blanc), a réalisé ce film exceptionnel sans soumettre le scénario à la commission de censure. Cette volonté de toujours aller plus avant se retrouve aussi chez les écrivains, les journalistes, dont certains ont été assassinés ou emprisonnés en 1999. Les arrestations se poursuivent depuis le début de l’année.
Avec difficulté, les réalisatrices ont, elles aussi, trouvé leur place derrière la caméra pour traiter de la condition de la femme: Rakhshan Banni-Etemad, Tahminé Milani et une dizaine d’autres s’affirment dans cette société «macho-islamiste».
L’Iran a adopté cette image contemporaine qu’est l’image cinématographique. Réelle ou de fiction, elle s’est libérée et fait désormais partie du quotidien de la population. Tous les Iraniens sont envoûtés par l’image que «ce soit une image juste ou juste une image», selon l’expression de Jean-Luc Godard.

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S’il faut toujours parler de chiffres pour sembler donner vie à l’idée de cinématographie nationale, le cas de l’Iran s’impose comme conséquent : De 1900 à la Révolution, 632 longs-métrages furent produits, par 58 sociétés de production, et 124 réalisateurs. De 1976 à 1997, 648 films sortent sur les écrans en Iran.

A présent, un peu d’histoire pour éclairer ces brèves données statistiques.

En 1900, c’est un voyage du Roi en France qui permet l’introduction du cinématographe à son retour. Mais celui-ci n’est envisagé que comme un divertissement royal, et un acte hagiographique. Jusque dans les années 20, l’exploitation des premières salles publiques s’avère laborieuse, bien que rencontrant un véritable succès : les religieux sont heurtés par la représentation à l’écran de femmes dévoilées, et des salles sont fermées ou détruites à leur demande.

Dans les années 20 et 30, les exploitants ouvrent des salles mixtes et des salles réservées aux femmes, et ils se font un devoir de projeter les dernières productions hollywoodiennes dans le temps de leur sortie (Le voleur de Bagdad en 1924).

En 1933, l’arrivée des premiers films parlants prend tout le monde de court : parmi les 15 salles de Téhéran, seules quelques-unes sont à même techniquement d’assurer les projections. La plupart des documentaires, tournés par des étrangers regardant la société perse, sont interdits ou frappés de censure (La croisière jaune, France, 1931 ; Grass, de Cooper et Schoedsack, 1924). Des fictions perses s’inspirent de légendes populaires, du Livre des Rois de Ferdowsi (Xème siècle), et rencontrent un grand succès populaire, inefficacement dénoncé par les ayatollahs.

La Seconde Guerre Mondiale interrompt brutalement le financement des films : les aides à la production et à la distribution sont supprimées. Ensuite, de 1948 à 1960, le succès des productions iraniennes populaires va croissant. Jusqu’à 20 films nationaux sortent chaque année, dont plusieurs ressortissent au registre du divertissement musical : n’oublions pas que l’immense majorité du public est analphabète et pauvre.

La référence est sans conteste le cinéma égyptien.

Dans les années 50, un courant documentaire, « l’Ecole de Syracuse », réalise plus de 400 films de bonne tenue technique, et usant parfois de subterfuges symboliques et métaphoriques pour contourner une censure omniprésente. L’influence considérable de cette « école » se fait sentir aujourd’hui encore dans la stylistique des films contemporains, qui mélangent fiction et documentaire sans distinction claire d’un registre par rapport à l’autre.

En ce qui concerne un courant plus intellectuel, on peut noter en 1943 la création de la première revue de cinéma, Hollywood, consacrée exclusivement au cinéma américain.

Un Centre National du Film est créé en 1949, et en 1952 des intellectuels commencent à faire des films qui tranchent sur la production commune. Le « Kanun », pépinière de cinéastes aujourd’hui en déclin, émerge en 1966. Ce sont les premiers films iraniens à partir à l’assaut des festivals internationaux. Abbas Kiarostami y réalise ses premiers films, à l’instar de Jafar Panahi. Le cinéma est une industrie florissante : 33 millions de billets vendus à Téhéran en 1965, 300 salles pour 30 millions d’habitants !

Les influences du modernisme cinématographique se font sentir (le néoréalisme dans La Source de Ovanessian ; La nuit où il a plu de Shirdel, qui annonce Close-Up de Kiarostami.

En 1979, le premier succès de Kiarostami est Le Passager, produit dans le cadre du Kanoun, qui raconte le voyage obstiné d’un enfant désireux de se rendre à Téhéran pour voir un match de foot.

Cette année-là, 86 millions d’iraniens vont au cinéma, dont 50% de téhéranis, 78% d’hommes, 21% de femmes, dont la majorité ont entre 15 et 30 ans.

Mais une chute brutale de la fréquentation survient suite à de nombreux incendies allumés dans les salles par des fanatiques religieux.

Au début de la Révolution, il existait 400 salles dont 115 à Téhéran. En 1999, il en reste 283, dont 76 à Téhéran.

La production s’arrête avec la Révolution, les festivals sont supprimés, les films sont coupés, remontés, censurés. Des réalisateurs et des producteurs sont arrêtés et interdits de travail.

Puis la production reprend sous contrôle (85 films entre 1979 et 1983, dont 30 n’obtiennent pas le visa de censure) ; des films de propagande s’imposent. La guerre contre l’Irak relance la production nationale en fournissant un sujet consensuel.

A partir de 1985, l’influence de Khomeiny fait perdre au cinéma son aspect maléfique. Le Guide lui-même regarde la télévision. Mais cette tolérance a un revers : l’omniprésence d’une star : Khomeiny. Les années 90 voient le triomphe du cinéma iranien dans le monde, à travers les festivals internationaux. Le Gouvernement salue le succès du cinéma iranien et propose même Au travers des Oliviers (Kiarostami) aux Oscars du meilleur film étranger (suivront Le Ballon Blanc, Gabbeh et Les enfants du Ciel).

Inquiet de l’influence croissante du cinéma américain en Iran, le Gouvernement de Rafsandjani lève l’interdiction qui pesait sur de nombreux films iraniens, permet la diffusion de la production nationale en vidéo, aide des artistes et la production nationale. L’Etat investit directement dans des films « islamiquement corrects ». En 1996, un des grands succès de la télévision fut une série consacrée à l’Imam Ali.

Cependant la situation des réalisateurs indépendants demeure fragile : la révélation en 1994 de la cécité du plus haut responsable du bureau de la censure cinématographique déclenche un mini scandale.

Ces dernières années, les cinéastes indépendants relèvent la tête, et affirment leurs positions. Des cinéastes officiels comme Makhmalbaf gagnent une respectabilité à l’export, tandis que des cinéastes comme Kiarostami jouent sur les deux tableaux en veillant à ne pas heurter les critères de censure, tout en tournant des films pour l’étranger. Ces cinéastes profitent d’un relatif climat d’ouverture qui voit le régime interdire à l’exploitation nationale des films qu’il autorise pour l’export.

Mehdi Derfoufi

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